CISCOBLOG
LE SITE D'UN GRAPHOMANE IMPENITENT ET INTERMITTENT


mercredi  

26 (titre provisoire), III : Les viaducs de la Nacelle, suite 5

A son retour, elle passa une nuit au 26. Le lendemain, elle retournait dans l'appartement avec sa mère. De son écriture irrégulière Haltman nota dans le Déchronographe : "Odile, qui a retrouvé sa maman, vient déjeuner avec nous à midi. elle nous semble remarquablement en forme. Elle est, contre toute attente la très scrupuleuse infirmière de Maria. Ce matin, dans l'appartement tout coquet, elles étaient vraiment adorables, toutes les deux. Odile fait la cuisine, le ménage, chouchoute sa maman, la conseille judicieusement pour son régime, assume son rôle de jeune fille raisonnable : pas un mot plus haut que l'autre, attentive à nos recommandation et aux désirs de sa mère. Elle prend sur elle, se contrôle. Et pourtant ce n'est vraiment pas facile ! On peut sentir l'effort qu'elle fait pour ne pas se laisser emporter et déprimer par le rejet de Maria, contradictoire, brutal, obscène. D'un autre côté, cela me rend optimiste. Elle va vraiment mieux. Elle peut progresser. Elle se débrouille. Elle fait front. Elle parvient à calmer le jeu du couple délirant. Pourtant c'était mal parti. Maria était bien retournée chez elle avec la ferme idée d'en éjecter sa fille. Elle n'a pas remballé sa rejetance : elle profite au mieux de son statut de coq en pâte, elle accepte donc (mais pour combien de temps ,) le maternage à l'envers..." Ils n'en revenaient pas, les voisins non plus, qui s'étaient attendus à ne plus dormir. Cela n'allait pas durer, disait tout le monde. Cela dura à peu près deux ans. Odile fréquenta le 26 assez souvent, dans la journée. elle participait à des activités, faisait les courses avec Véra - le déchronographe mentionna, entre autres, l'achat l'achat de chaises longues et de canisses pour les bains de soleil sur les balcons de la Nacelle. Elle retourna dans "les herbes", chez Hans et Thérèse, qui étaient devenus des cousins lointains à qui elle avait envoyé des cartes postales et dont elle prenait régulièrement des nouvelles au téléphone. Haltman l'avait ramenée chez eux l'année suivante avec Renée, en un voyage à travers la France qui avait été une vraie fête. A son nouveau passage au Viaduc de Garabit Odile s'était exclamée : "Ah, la voilà, ma Tour Eiffel !" Un peu plus tard, arrivée à Elodes, grosse dame de Bagdad Café et vraie jeune fille de la maison, elle leur apportait des rafraîchissement et s'allongeait sur l'herbe en robe légère pour prendre le soleil. Elle se promenait souvent avec Véra, allait chercher son argent à la perception toute seule, en bus. Maria avait du se faire à l'idée qu'elle ne la marierait pas, mais que, à défaut de belle famille, le 26 et sa drôle de clique feraient bien l'affaire, allez, figurez vous. Quand elle ne venait pas les voir, Odile leur téléphonait, surtout la nuit, quand Charlot rescussitait un peu. On pouvait lire sur le Déchronographe : " Odile était très angoissée hier soir au téléphone. elle a appelé trois fois pour dire qu'il ne fallait pas réparer sa machine à laver parce que le système électrique de son appartement avait été légalisé par la gendarmerie et qu'à trop tirer sur le courant on allait faire écrouler le plafond." Bref, elle maintenait le lien, avec la crainte, un peu, de trop tirer sur la corde. Leur crainte à eux était celle de la deuxième mort de Maria. Mais ce n'est pas cela qui arriva. Imperceptiblement les choses allèrent moins bien. Odile s'enfonça tout doucement sous sa couette des HLM de la Nacelle avec l'aide de trop de Rohypnol. Peut-être avaient ils, comme par habitude, relaché un peu leur vigilance. De même, elle abusa de la cuisine industrieuse et peu imaginative de Maria. Quand elle ne dormait pas, elle criait à nouveau, parce qu'elle ne se trouvait pas belle, qu'elle ne pouvait plus entrer dans ses beaux vêtements, parce que Charlot Poissay, au double visage de bourreau et de séducteur, se faisait à nouveau attendre. Parce que leur Mondavous était trop beau pour elle, et que les vipères s'étaient remises à courir sous sa peau. Jacques et Haltman n'étaient plus des psychiatres, ils avaient changé de profession pendant la nuit : ils étaient devenus assureurs. Il allait donc falloir assurer. Ils éssayèrent de ne pas la décevoir. Une année passa encore ainsi, encore, plutôt bien que mal. Ils gardaient espoir. Odile refit quelques séjours au 26 et retournait hurler un peu dans les HLM de la Nacelle. Mais pas toujours. Elle maintenait le fil, sans plus. Même "les herbes" ne furent pas une grande réussite cette année-là et ce séjour raté, où Hans et Thérèse, découvrant un autre visage d'Odile avaient appelé à l'aide, les avaient marqués, plus qu'ils ne voulaient le croire. Il y eut l'épisode "téléphone." Odile se mit à appeler Police-Secours toutes les deux minutes. Les flics furent héroïques. Un jour, ou plutôt une nuit, Haltman reçut un coup de file de l'interne de garde de l'hôpital à cinq heures du matin. Il lui raconta qu'il venait de recevoir trois coups de fil du commissariat depuis dix minutes. Le préposé aux appels pour Police-Secours n'en pouvait plus : il en était à son centième appel depuis qu'il avait pris son service de nuit. Il avait décidé d'appeler l'hôpital à chaque appel d'Odile, et l'interne, contrarié d'avoir été reveillé, les reveillait à son tour. C'était une chaîne infernale. Odile appelait Police-Secours, Police-Secours appelait l'hôpital et l'hôpital appelait le 26. Magnifique enchaînement institutionnel, sorte de métaphore de la psychiatrie publique et de son impossible tâche.. Il y eut plus. Haltman décida d'appeler immédiatement Odile chez elle, qui ne répondit pas, bien entendu. Il laissa sonner au moins un millier de fois, Odile devait être terrorisée devant ce téléphone qui se mettait à lui répondre tout seul. Mais en même temps, Haltman fut sûr que le préposé avait pu se reposer un peu ou répondre à d'autres appels. En un seul mouvement, Dominique, qui était son coéquipier cette nuit-là, se rendit à toute allure à la Nacelle pour faire la seule chose possible : confisquer le poste téléphonique de la contrevenante. Ouf ! enfin tranquilles. Pas tant que ça. Quelques jours plus tard, c'était madame Lecomte, L'ange des HLM, qui appellait de sa toute petite voix "pourriez vous rendre son combiné à Odile, voilà trois jours qu'elle sonne toutes les dix minutes à ma porte pour téléphoner à Police- Secours ?". CQFD. Odile voulait vraiment revenir parmi eux. Encore un extrait du Déchronographe : " Et voilà, je n'ai pas pu me contrôler. Quand j'ai vu Odile se remplir un bol de sucre en poudre, y verser le lait en poudre et arroser le tout d'une bonne dose de café bien fort, j'ai piqué un coup de sang et je me suis mis à lui hurler dessus. elle a bien éssayer de répliquer mais j'ai tout de même une grosse voix. Elle est privée de café, de graisse d'oie, de rahat-loukoums et de purée de pois chiches jusqu'à nouvel ordre, et consignée dans sa chambre à partir d'aujourd'hui neuf heures jusqu'à aujourd'hui neuf heures dix ! Elle n'en sortira pas avant d'avoir perdu cinquante kilos, au moins ! Toute la journée d'hier c'était la Odile des mauvais jours : fermée, murée dans son mondaelle, son enfer, n'en sortant que pour de brèves violences. C'est un camp retranché à elle toute seule. Hier soir, elle s'est endormi comme une masse et reveillée à quatre heures du matin, malgré le traitement pour lequel j'ai du la reveiller. N'importe quoi ! Elle a commencé à s'empifrer de café sucre et pâin jusqu'à ce que je sorte de mes gonds." Une note était ajoutée: "Rectificatif : inutile d'essayer de crier plus fort qu'Odile, cela ne l'arrête qu'un instant et c'est totalement épuisant, je ne pouvais plus retrouver mon souffle. D'ailleurs je me suis demandé comment, par quel mystère, justement, elle faisait, elle, pour hurler avec autant de force pendant des heures..."

posted by grossmann | 2/25/2004


lundi  

Je me souviens que je viens de mettre à jour la liste des JMS (voir en LCD.) Si les dates étaient cliquables, cela permettrait une jolie promenade dans le site, mais elle ne le sont pas. C'est regrettable, j'y remedierai une autre fois, je viens d'y passer assez de temps comme ça, et pendant que j'y penserai , je le ferai aussi pour la liste des Pensées de la Nuit que j'ai mise à jour il y a quelques..jours et celle des Altenatives et de mes Taphores qui, elles, ne sont ni tout à fait ni du tout à jour. Cela n'a l'air de rien, mais Ciscoblog, c'est beaucoup de travail ! Bonsoir)

posted by grossmann | 2/23/2004


dimanche  

Merveilles, 10


1789 en 1971J’y étais ! Où-çà ? A la prise de la Bastille ! Oui, à sa représentation par la troupe du théâtre du Soleil. "1789, la révolution doit s'arrêtre à la perfection du bonheur". J’avais déjà vu « la Cuisine », et le « Songe d’une nuit d été » avant le départ de la troupe comme invité au « Piccolo Teatro » de Strehler à Milan, j’en ai déjà parlé. C’était en février ou mars 1971. Ariane Mnouchkine venait d’installer ses ouailles à la Cartoucherie de Vincennes, un lieu immense à la mesure de ses ambitions, mais encore un peu trop désert. On pelait de froid (on pèle encore, d’ailleurs, actuellement, à la Cartoucherie en hiver.) La salle était pleine, pourtant. Les critiques avaient été dithyrambiques. En ce temps-là on savait encore souffrir pour le théâtre. Pas de sièges. Nous étions debout, libre à nous de nous asseoir par terre. C’en était finit pour une dizaine d’année des théâtres à l’italienne : le théâtre, après 68, devait pouvoir se faire n’importe où, sur le carreau de la mine, dans les écoles, les halls de gare, chez vous, à domicile. Mais c’était aussi une idée soixante-huitarde de faire voler en éclats la barrière entre le spectacle et le spectateur. Il ne s’agissait plus qu’il assiste à une « fiction », quelque chose en train de se faire, se fabriquer, sous ses yeux passifs, mais qu’il prenne place « dans la fiction », en tant que participant « responsable ». Là aussi on avait voulu supprimer les hiérarchies. Mais on fond, et comme ailleurs, je crois que cela renforçait encore la fiction et ajoutait à la magie, un peu comme les livres dont vous êtes le héros ou, plus tard, les jeux vidéos (ou encore, si vous voulez, la révolution culturelle…) On feignait de vouloir que le spectateur participe à la création du spectacle, mais il ne faisait que devenir, certes ravi et de son plein gré, un élément du décor. Le théâtre figurait donc un espace public. Une place, dans une ville, pavée, comme dans les décors de la règle des trois unités mais au lieu de l’avoir devant nos yeux, nous nous y retrouvions massés dans la grande fraternité des « manifs » qui se prenaient à l’époque comme des autobus. Une place, donc, ou un pont. C’était le pont neuf, avec ses baraques, ses estrades, ses théâtres de marionnettes. L’histoire était racontée par des bateleurs au jour le jour, à mesure que les événements se déroulaient. Il y avait trois ou quatre tréteaux, chacun pour un genre différent : pantomime, marionnettes, revues foraines, Commedia del Arte. Déjà le goût des petits espaces où l’on doit se serrer, se caser comme dans un tableau, déjà la réflexion sur le théâtre, les deux « fils rouges » du Soleil. Nous étions des badauds parisiens, nous allions d’estrade en tréteau, appelés par les bonimenteurs ou attirés par un grand bruit, une lumière soudaine. Parfois deux ou trois actions en même temps. La fuite à Varennes, le renvoi de Necker, le boulanger, sa femme et le petit mitron, les cahiers de doléances, la nuit du 4 août… Parmi nous, des contemporains, des hommes et des femmes « du dix-huitième siècle » badauds comme nous, qui vivaient, eux, les évènements « en direct », sans le calme neutre et bienveillant que nous donnait en quelque sorte notre statut de voyageur spatio-temporel (soit dit en passant : le spectateur de théâtre est toujours un voyageur spatio-temporel). Une femme se met à nous parler. Elle réunit autour d’elle une petite vingtaine de spectateurs, elle nous raconte sa journée, elle s’exalte, passe du murmure à la harangue, il y a une atmosphère électrique, un roulement de canon en bruit de fond, mais non, c’est la rumeur causée par une multitude de petits groupes identiques au notre. Ce qui est beau est que chaque comédien ne raconte pas la même histoire, mais une histoire telle que chaque personnage l’a vécue en ce matin du 14 juillet 1789 : les rues emplies de gens qui affluent de tous les quartiers, qui accourent à la rescousse, qui emportent au passage les piques et les gourdins, qui s’interpellent et se passent les mots d’ordre. C’est une rumeur qui enfle, qui submerge tout et qui éclate en un hurlement de joie poussé par des dizaines de poitrines. C’est la « prise » de la Bastille par l'acmé du récit, par la force de la parole, par le cri du peuple. Une idée de génie. Au même moment les tréteaux se transforment en une énorme fête foraine. Tout le monde s’embrasse, tout le monde danse. On se prend par la main. C’est irrésistible. C’est un feu d’artifice du 14 juillet. C’est beau comme quand on se montre les belles bleues. Et puis, il eut, merveilles des merveilles le "salut" final. J'ai toujours aimé le moment du "salut", quelque fut le côté de la barrière où je me suis tenu. Le "salut" "veut" dire quelque chose. On doit le mettre en scène comme le reste. Il dit notre amour du théâtre, il est un peu notre acte de foi, la dernière image, le dernier signe. Les acteurs tiennent leur personnage par la main. Le salut de 1789 n'est pas un salut : c'est une dissidence, un pêché, c'est une course, une course éperdue vers le spectacle, vers ce point de fuite inateignable ou la représentation s'atteint elle-même, où il n'y a plus que des personnages, et plus d'acteurs. Deux coups de timbale et sur le thème du dernier mouvement de la septième symphonie de Beethowen en boucle, les acteurs se ruent sur la scène, ils s'inclinent une fraction de seconde vers nous, se redressent et repartent en courant. Un court instant de vide et les voilà qui reviennent , devançant le rappel (tarder à revenir au moment du rappel, au risque de ne pas revenir, par extinction des applaudissements : le seul acte de sincérité au théâtre), ils reviennent en courant. Il est impossible de les arrêter. Ils sont exténués, nous aussi. Ils ne peuvent pas partir, nous non plus. Et ça ne veut toujours pas s'éteindre. Il n'y aura pas de rideau. Ce n'est pas raisonnable. Si délicieusement. 1793, la suite, un an plus tard, fut à 1789 ce qu'est le dedans au dehors. Juste ce souvenir qui est celui de l'enchantement. Il faisait encore jour en cette douce soirée de juin, vers vingt heures quans nous avions pénétré dans le théâtre. Tout au long de la soirée, par les grandes fenêtres de la Cartoucherie, nous avions vu le jour lentement décliner et la pièce se jouer par une lumière crépusculaire qui convenait parfaitement à l'action. Il n'y avait pas d'autre système d'éclairage visible. les éclairagistes avaient déployé des trésors d'ingéniosité pour que la pièce se joue à la lumière du jour : la seule lumière venait de ces grande fenêtres creusées dans l'épaisseur des murs. A la fin, la salle était doucement caressée par les lumières vascillantes du couchant. Mais plus de trois heures s'étaient passées. Le jour avait bien décliné, en cette soirée de 1793, mais il avait tenu bon. Il ne s'était pas couché. Il avait résisté aux forces des ténébres. Le "Soleil" avait été plus fort que la nuit. Le Théâtre plus fort que l'Histoire. 1793 avait été la conclusion des "Lumières". Quelque chose qui refusait de se terminer. Mais la nuit, la vraie, avait depuis longtemps triomphé. Nous nous retrouvions dans la cour, en nous frottant les yeux : la lune brillait dans la nuit noire. Se retrouver au dehors, dans le noir, après la fin du spectacle, ajoutait encore à la nostalgie qui nous avait pris sous ce crépuscule. Nous nous sentions seuls et frissonnants sous la lune. 1793 avait connu des aurores, des petis matins blafards, des lumières blanches de midi, des feux de soleils couchants, mais pas de nuits. La résistance, l'espoir. Dehors, la nuit était celle de la résignation. Nous nous éloignions sans un mot. Derrière nous, le théâtre qui se fondait petit à petit dans la brume baignait encore dans les ors de l'illusion et de la jeunesse qui ne veut pas mourir.

posted by grossmann | 2/22/2004


vendredi  

Pensée de la nuit N° 58 : "Les yeux bleus pâlissent. Au fil des ans, les yeux couleur bleue de l'enfance prennent une teinte bleue-gris, sale et trouble de vivoteur médiocre, ou deviennent les tentacules vitreux des juges d'instruction ou des gardes, ou se transforment en regards "d'acier" des soldats : il y a beaucoup de nuances. Mais il est extrêmement rare que les yeux gardent la couleur de l'enfance..." Varlam Chalamov, les recits de la Kolyma.

posted by grossmann | 2/20/2004


mercredi  

Avez-vous déjà vu les chutes du Niagara gelées ? Vous en trouverez une image dans Dayly dose of Imagery, un photolog canadien (anglophone) mitonné aux petits oignons. (A propos de photologs : Ten years of my life continue. N'a pas encore manqué un jour. Reste encore du chemin...(pour ciscobloggers avertis. C'est du suivi d'information, ça ! Merci qui ?))

posted by grossmann | 2/18/2004
 

26 (titre provisoire), III : Les viaducs de la Nacelle, suite 4


Il y eut un moment très délicat, quand Maria dut subir une splénectomie, une ablation de la rate, qu’elle vécut elle-même comme une agression sur son corps. Odile, très agitée, leur parla beaucoup d’accouchements monstrueux. Elle ne put se persuader qu’on n’allait pas enlever un troisième ou un milliardième bébé du ventre de sa mère, ou qu’on n’allait pas la faire renaître elle-même sous ses propres yeux. La vie qui s’accrocha à Maria fut aussi une chance pour Odile. Un après-midi après le repas, autour de la grande table du 26, ils étaient quelques uns à tourner leur café en silence. Le café est toujours un instant sacré, voire magique. Au 26 plus qu’ailleurs, parce que le silence précédait souvent le surgissement des paroles inouïes. Odile se mit à parler avec monsieur Butin. Monsieur Butin avait travaillé sur les marchés de Corbeil, il avait monté et démonté les étalages. Il avait été employé par la ville. Il avait aussi vendu du poisson. Odile l’avait déjà rencontré à l’hôpital psychiatrique, ils avaient des souvenirs à échanger. Odile lui demanda s’il avait connu son père Charlot Poissay. « Ah, si vous saviez comme je l’ai aimé mon papa ! Il est mort il y a des années de ça, quand j’étais petite fille. Et il nous a laissé toute seules, maman et moi, et le chien Tintin. C’est triste. Et figurez-vous, que ma mère, elle va peut-être mourir aussi… » Haltman n’en croyait pas ses oreilles : Odile savait la vérité ! Par une sorte de miracle, Maria ne mourut pas, ses plaquettes se maintinrent à un taux bas mais qui lui permit de rentrer chez elle. La tristesse d’Odile se retira. Et toute son angoisse. Elle avait pu convenir de la mort de son père et en parler comme d’une chose révolue, elle se réjouit du retour de sa mère. Quelque temps avant, elle avait accepté de rencontrer sa tutrice. Elles convinrent ensemble de restaurer l’appartement aux frais d’Odile. Le temps des vacances était venu. Il fallait travailler une dernière chose : la séparation d’avec la maison du 26 où elle était restée près de trois mois. Depuis quelque temps, Odile pouvait à nouveau parler de son passé. Elle évoquait les souvenirs de voyages organisés qu’elle avait fait sans ses parents avant sa maladie. Ils pensèrent donc à un voyage, comme le recommande Esquirol, qui sait bien que c’est la meilleur métaphore des retours réussis. Ils parlèrent de la montagne, de la mer et finalement des « herbes » comme Odile nommait la campagne. – « Voilà qu’ils veulent m’envoyer dans les herbes » se mit-elle à répéter en roulant le « r »à l’italienne avec l’accent de sa mère, comme si s’était une idée saugrenue. Elle s’en amusait comme d’une lubie qui les avait pris. Elle alla même voir son ancien médecin le docteur Fresnes, pour lui dire qu’il ne fallait pas qu’on l’envoie aux herbes « Ce qui me conviendrait à moi, figurez-vous, c’est le Lac Majeur ! » Parfait concentré d’Italie et de paternité. Ils avaient choisi une famille d’accueil dans l’Aveyron, qui, en fait faisait plutôt partie d’un réseau de séjours de rupture pour adolescents. Bien sûr, le jour du départ, Odile se rendit compte qu’ils ne plaisantaient pas, qu’il était bien question d’un voyage imminent aux « herbes ». Elle s’angoissa soudain et parla de décapitations. Ils ne s’en laissèrent pas compter. Les bagages attendaient, rangés à l’avance dans la voiture du service et Véra avait préparé les sandwichs pour le pique-nique. Odile n’en menait pas large, mais elle ne put faire autrement que de monter dans l’auto. Le début du voyage fut assez pénible. Odile hurlait en se penchant trop à la fenêtre qu’il s’agissait d’un enlèvement intersidéral. Il y eut une pause repas dans la campagne bourbonnaise, près d’un vieux château abandonné sous un lourd ciel d’orage. Odile y voyait des menaces. Eux aussi. Puis ce fut la traversée du Massif Central, droit vers le Sud. La beauté des paysages calma Odile et aussi leurs propres angoisses. Elle reprit confiance, participa aux commentaires touristiques. Ils firent une halte au Viaduc de Garabit, formidable pont de fer, jeté par Gustave Eiffel et tout le dix-neuvième siècle triomphant, entre deux rives escarpées. Au fond, un torrent profond et impétueux. Elle acheta une carte postale et l’envoya à Maria. Plus ils avançaient, plus Odile retrouvait confiance. Peut-être conjuraient-ils là les rapts thérapeutiques de son père. Ce voyage était un vrai voyage, mais un voyage à l’envers. C’était comme si ils détricotaient les cigarettes. Ils arrivèrent à Elodes, près de Saint-Affrique, dans le Larzac. C’était la douceur des derniers rayons du soleil, mais aussi l’ombre qui s’étendait sur la valée. L’angoisse d’Odile était revenue. Ses hôtes, Hans et Thérèse, un peu impressionnés, lui montrèrent sa chambre, qui lui plut. Mais ils ne connaissaient rien des fureurs d’Odile. Ils avaient donc secrètement convenu de la laisser là, de passer une nuit d’hôtel à Millau, de repasser le lendemain matin, sur le chemin du retour et de ramener Odile avec eux si cela se passait mal. Odile leur dit simplement : « A demain.» Après une courte nuit, ils se précipitèrent à Elodes, pas rassurés. Ils trouvèrent Odile dans la cuisine, attablée devant un bol de lait fumant. Et là, texto « Alors, messieurs, si j’ai bien compris, vous venez me chercher dans un mois ? Alors, au revoir et à dans un mois. » Les adieux ne furent pas déchirants. Son séjour se passa sans histoire, elle accompagna ses hôtes, Hans et Thérèse, aux courses, à la piscine et alla chercher elle-même ses cigarettes au tabac du village.

posted by grossmann | 2/18/2004


lundi  

Night and days

Mon image préférée de M.C. ESCHER (cliquez dessus pour l'agrandir.) Au 26, on la citait comme exemple parfait d'une synthèse disjonctive.

posted by grossmann | 2/16/2004
 

Pensée de la nuit N° 57 : "Je préfère qu'un seul oiseau m'apprenne à chanter plutôt que d' apprendre comment ne pas danser à dix mille étoiles " E.E. Cummings, poèmes choisis.

posted by grossmann | 2/16/2004
 

Petite partie de pêche à la webligne. Si vous voulez savoir pourquoi Sainte Thérèse d'Avila est morte dans la nuit du 4 au 15 octobre 1582 (j'ai bien écrit du 4 au 15 octobre 1582, il n'y a ni faute de frappe ni coquille) et pourquoi l'année 1900 n'a pas été bissextile, précipitez vous sur ce lien (si vous le savez déjà, interdit de le dire aux autres, vous leur gâcheriez le plaisir). J'en profite pour insérer le lien vers la version française de la Wikipédia en LCD (pour ceux qui ne connaissent pas le "wiki", il faut savoir que c'est l'une des plus fabuleuses inventions dues à Internet.) Bonne plongée dans les abysses vertigineuses du calendrier, exercice de vraie philosophie ! En tout cas moi, j'ai adoré (via David Madore, par des chemins détournés)

posted by grossmann | 2/16/2004


jeudi  

26 (titre provisoire), III : Les viaducs de la Nacelle, suite 3

Accueillir c’est recevoir. On reçoit aussi des gifles, des cadeaux, des balles perdues ou des ballons de foot. Accueillir Odile, c’était un peu tout à la fois. Pour accueillir, il ne suffit pas toujours d’un territoire où recevoir autrui et d’un code approprié pour lui dire qu’il est le bienvenu. Les simples lois de l’hospitalité ne suffisaient pas pour Odile. On devait aussi claquer les portes, se fâcher tout rouge, laisser la porte entrouverte, garder contenance, s’angoisser, ne pas perdre le fil… justement, avec Odile voilà que le fil devenait de plus en plus solide, même si ils avaient le sentiment qu’au travers de sa grande folie elle se comportait comme quelqu’un qui ne veut pas abuser des bonnes choses. De fait, c’est bien une rencontre qui avait eu lieu. Ce n’est que lorsque l’évènement fut arrivé que tout devint plus clair. L’évènement, ce fut la maladie de Maria. Maria était épuisée, ne faisait plus les courses, ne faisait plus à manger. Maria se couvrait de bleus et se mettait à saigner de partout. Maria avait un purpura thrombopénique. C’est une maladie rare mais très grave, qui s’attrape comme ça. Maria pouvait mourir. Elle devait être hospitalisée. Maria refusait. On du l’emmener de force. Il y eut une brève bagarre avec les pompiers qui embarquèrent aussi Odile. Aux urgences de l’hôpital, où on les avait appelé aussitôt, alors qu’on montait sa mère en médecine, ils trouvèrent Odile soudain calme, comme soulagée, libérée d’un grand poids. Elle accepta leur proposition de venir au 26, de prendre des médicaments puisqu’elle était en passe de devenir orpheline et que l’attente des maris était définitivement ajournée. Cela n’aurait pas été facile tous les jours. Odile connut de grandes périodes d’agitation et des moments de profonde de dépression, dont la violence les bouleversa. Il avait souvent fallu, le soir, avant qu’elle s’endorme, battre et bien lisser les draps pour chasser vipères, pieuvres et autres couleuvres. Elle ne faisait plus rien par elle-même, pas même prendre ses médicaments. Elle demandait qu’on les lui injecte pour être plus sûre d’être branchée sur le système nourricier. Elle se laissait donner des bains. Les cendres et les mégots faisaient une petite montagne autour du tabouret de la cuisine où elle passait des heures à se taire. C’était une victoire si elle éteignait ses cigarettes dans un cendrier ou si elle se versait toute seule du café. Et puis, il y avait les accès de rage, inopinés, assourdissants, inarrêtables, où, cramponnée à la porte du couloir, bien à l’abri à l’intérieur, elle apostrophait la rue, la ville, le pays et la terre entière. Cela commençait comme une harangue, une sainte colère, une intervention à la chambre des députés. Elle lançait un tonitruant « Monsieur ! », signe que les imprécations allaient se déverser. Elle laissait un silence calculé. Tout se suspendait dans la maison et les fenêtres se fermaient dans la rue. « Monsieur ! » Elle avait une voix d’airain que n’altérait pas un léger zézaiement. Les mots prenaient corps en franchissant sa bouche, matérialisés par la force du souffle qui les expulsait. « Monsieur ! », comme si elle leur donnait naissance pour la première fois, au milieu de l’écume de ses lèvres. Elle sortait de ses accès épuisée, chancelante, à bout de souffle, comme après un concert au Parc des Princes. Ils eurent des pétitions. La maladie de Maria ne s’arrangeait pas. Les hématologues leur annoncèrent plusieurs fois qu’ils avaient tenté le dernier essai thérapeutique. Il était vital, on ne pouvait mieux dire, de maintenir le lien entre Odile et sa mère. Ils l’accompagnaient à des visites dans le service de médecine, où tout le monde s’écartait en les voyant arriver. La réalité de la menace mortelle qui pesait sur Maria fut le fil ténu qui pouvait les renvoyer à une autre réalité : celle de la mort du père dont on n’avait jamais pu parler. Ils pouvaient dire que si, en quelque sorte Charlot avait privé Odile et Maria de sa propre mort et , par là, bouclé le cadenas de la spirale délirante – inaugurée par la mort informulée du premier bébé -, la maladie de Maria pouvait être l’occasion douloureuse de commencer à travailler la séparation. Ils pouvaient dire, qu’en même temps, par un processus rhétorique d’équivalence, les soins apportés à Maria qu’il était possible de lutter contre la mort du corps autrement que par la dénégation : se soigner. Les retrouvailles avec la mère alitées, mais vivante, en suspens, étaient empreintes d’une douceur et d’une chaleur réciproque qu’il avait été impossible de prévoir.

posted by grossmann | 2/12/2004


lundi  

Je me souviens des raisins verts.



XXX

et je me souviens que les "Tarzan" étaient des films érotiques

posted by grossmann | 2/9/2004


dimanche  

26 (titre provisoire), III : Les viaducs de la Nacelle, suite 2


Elle ne sortait plus de chez elle. Elle terrorisait Maria qui se réfugiait des journées entières dans la salle de bain. Elle criait le jour et la nuit. Elle empêchait les voisins de dormir. Elle avait entrepris d’apostropher le monde. Elle ne le lâcherait pas de si tôt. Maria n’était plus sa mère. C’était tantôt la fausse femme de Charlot, tantôt la bonne à tout faire. Ils essayèrent d’expliquer à Maria qu’elle se mettait en danger, qu’elle prenait des risques à laisser faire Odile coûte que coûte. Mais Maria ne les croyait pas : elle persistait à penser que s’ils se décidaient enfin à épouser Odile, tout aurait été mieux – Ou alors figurez-vous, s'ils continuaient leurs visites c’est qu’ils en voulaient à son argent. Elle leur demandait s'ils n’étaient pas des escrocs, des fois. Mais tantôt Odile leur ouvrait, tantôt Maria, tantôt personne. Ils s’obstinaient de longs mois à proposer leurs services. Ni plus, ni moins. Rester présent. Un jour Odile leur ouvrit. C’était, en principe, le jour de l’injection. Elle refusa (parfois elle acceptait, mais cela ne changeait pas grand-chose) : « Ah non ! Rien à faire ! Trilifan piqûre de chien, Trilifan piqûre d’éléphant. C’est que je raccourci trop en ce moment, c’est des piqûres de bébés votre truc !» Et puis le chat venait d’accoucher de trois boas et elle n’arrivait pas à se débarrasser des vipères qui infestaient l’appartement et qui lui grimpaient dans les cheveux. « Alors, vous pensez bien que votre injection je n’ai pas que ça à faire, vous me la ferez demain, ça ira bien, et puis quand est-ce que vous me rendez la maison du 26... » Un autre jour, avec Jacquot : Maria s’était enfermée à double tour dans les vécés. Elle leur parlait à travers la porte : « Vous venez pour épouser Odile, aujourd’hui ? » – « Euh, non, pas exactement… » - « Allons, il fait être sérieux, il faut l’épouser, ma Odile, qu’est ce que vous attendez ! » - « Epouser Odile, mais qui doit épouser Odile ? » - « Vous, tiens ! » - « Qui nous ? Nous deux ? » - « Bien sûr, vous deux, figurez-vous. » Encore un autre jour, toujours pour l’injection. Cette fois Odile était de très mauvaise humeur. Michelle, à travers la porte : « Odile, nous sommes venus pour la piqûre ! » Odile ouvrit : « Ah non ! J’ai mal aux jambes ! » Michèle insista un peu, fit son métier. Odile la prit au col et la poussa vers la porte. Il reçut Michelle sur lui. Elle les poussa tous les deux dehors en hurlant : « Attention les doigts ! » Elle claqua la porte à toute volée. Les murs tremblèrent. L’écho dévala l’escalier en colimaçon du HLM. Michèle et lui se retrouvèrent, jambes flageolantes sur le palier avec leur petite seringue toute prête à côté du petit coton, dans sa petite boite d’alu rectangulaire. Il était rare qu’ils restassent sans nouvelle du voisinage. Malgré un seuil de tolérance bien plus élevé que dans les quartiers pavillonnaires, il n’en pouvait plus. Surtout la gentille madame Lecomte, avec son drôle de tout petit mari moustachu, alcoolique et chômeur. Madame Lecomte faisait les courses pour Maria, lui mettait du linge dans la machine, le faisait sécher sur son balcon, la faisait même entrer chez elle quand Odile en furie la poursuivait jusque dans la salle de bain. Madame Lecomte était une sorte d’ange des HLM. Mais il y avait aussi les autres, ceux qu’ils croisaient dans les couloirs longs comme des jours sans pains, dans les ascenseurs maculés d’on ne savait dieu quoi ou dans les escaliers qui puaient la pisse et où les enfants jouaient à l’écho. Travailleurs de nuits insomniaques, chômeurs, femmes épuisées de trop d’enfant, ils les regardaient passer avec dans les yeux quelque chose qui ressemblait tout de même à de la compassion. Cette solidarité un peu bizarre avait permis au couple de survivre, littéralement. Odile ne s’habillait plus. Elle restait en chemise de nuit ou en combinaison, comme Maria. Elle engloutissait d’énormes assiettes de nouilles à la tomate que Maria fabriquait à la chaîne. Elle grossissait, fumait et criait, ce qui lui éraillait la voix et l’essoufflait. Elle se mit à détruire systématiquement le mobilier, à la recherche des vipères ou des astronautes nains. Elle réduisit l’appartement en miettes non sans l’aide des loubards de l’HLM qui ne manquèrent pas de profiter de l’aubaine et échangèrent les tables Louis XV qui restaient contre quelques doses. Un jour, Odile les introduisit dans l’appartement dévasté. Maria, en combinaison dans la salle de bain, leur demanda pour la vingtième fois de l’emmener avec eux pour l’épouser. Odile ne voulut pas venir avec eux au 26, elle avait trop peur de la psychiatrie, et d’ailleurs elle était psychiatre. Cela n’empêchait pas qu’il y eut des serpents partout et que les appartements de la Nacelle fussent remplacés la nuit par des grottes grouillantes, que le monde s’écroulât. Et Charlot qui ne rentrait toujours pas. Avec Jacquot, ils intensifièrent le rythme des visites. Si parfois la porte restait close sur l’angoisse des deux femmes, le plus souvent Odile leur ouvrait et les invitait à constater les nouveaux dégâts. Ils insistaient à chaque fois pour l’emmener avec eux se soigner au 26. Elle était épuisée, elle aurait été tentée plusieurs fois, ils croiraient plusieurs fois avoir réussi à la convaincre, mais elle changerait toujours d’avis au dernier moment. Il se souvenait qu’elle aimait beaucoup se promener en voiture. Il n’avait pas été si difficile de l’inviter à faire un tour : elle s’était habillée, était descendue dans la rue, avait tourné autour de la voiture, Jacquot avait tenu la porte ouverte. Elle ne montait pas : il y avait sur le siège du passager une personne invisible qu’elle allait écraser ou, pire, qui allait l’étouffer dans ses bras. La place du mort. Elle avait regagné l’appartement presque à regrets. Une autre fois, ils avaient réussi à la convaincre de monter. Il n'aurait pas pu dire quelle sorte de victoire cela avait été pour eux. Ils avaient parcouru quelques rues de Dormeil, émus de sa joie enfantine à découvrir la ville qui n’était pas en ruine et l’avaient ramenée à la Nacelle sans rien lui proposer d’autre. Un peu plus tard, au cours d’une promenade identique, ils étaient arrivés devant la porte du 26, avec son accord. Elle y aurait bien pris le thé, par exemple, aurait même pris soin de ne pas revendiquer sa propriété. Mais ils ne l’invitèrent pas à entrer car elle refusait toujours de se soigner, de prendre le moindre comprimé. Il n’était pas question pour eux de renouveler l’erreur de la première rencontre. Si Odile franchissait la porte du 26, ce serait pour se soigner, et de son plein gré, rien d’autre. Il se souviendrait toujours de cette scène : la voiture était arrêtée devant le 26, il était au volant, Odile et Jacquot étaient devant la grille ouverte. Il avait peine à croire ce qu’il voyait. Il y avait Cathy et Danièle sur le perron. Jacques tenait au bout de ses doigts un comprimé de Tercian, bleu. Il le proposait à Odile, elle allait le prendre et tout serait terminé. Mais non, elle refusa, il la conduisit à la voiture. Ils l’avaient ramenée à la Nacelle, au pied de son immeuble, dans son entrée, pratiquement sans état d’âme. Mais il se souvenait toujours de la couleur bleue du Tercian au bout des doigts de Jacques.

posted by grossmann | 2/8/2004


vendredi  

26 (titre provisoire), III : Les viaducs de la Nacelle, suite 1



C'est à cette période que le service fut contacté par l'entourage consterné. Ne doutant de rien ils proposèrent à Odile de venir leur rendre visite au 26 pour dicuter de la manière dont ils pourraient lui venir en aide. Voila le signe qu'elle attendait : Enfin, elle allait se marier ! C'est une improbable créature, demoiselle imposante et équivoque, outrageusement maquillée, bas résilles et manteau de fausse fourrure, tout droit sortie d'un tableau de George Gross, qui se présenta à l'heure convenue. Elle prit tout de suite en main une situation qui leur échappait à une vitesse vertigineuse. Elle déclara qu'elle était psychiatre "Comme vous, tiens, ça c'est étonnant, alors..." La maison était à son goût, emplie de messieurs et de maris potentiels. Rapidement, ils apprirent qu'elle était la propriétaire, ce qui réglait d'un coup l'épineuse question de la dot. Restait celle du mobilier. En un tour de main elle avait commandé au Monsieur Ségalot du coin un salon Henri II, une chambre et une salle à manger suédoise, donné ordre de livrer le tout au 26 et ils furent, eux, en tant qu'illégitimes occupants, sommés de quitter les lieux sous vingt-quatre heures. Ils réussirent à détourner in extremis les camions du livreur de meubles, mais ils ne purent contenir la fureur d'Odile qui s'enfuit decidée à faire valoir son bon droit en temps utile. Non contents d'avoir failli prendre des coups de parapluie, ils tentèrent de renouer le dialogue chez elle, sans résultat évidemment, si ce n'est celui de s'entendre demander très sérieusement par Maria pourquoi beaux docteurs commes ils étaient, ils n'avaient pas voulu pas voulu épouser sa fille. "Allez, vous êtes bien des faux docteurs, alors !" Mais rien ne put arrêter la fureur d'Odile. Toute à sa déception d'avoir été éconduite, elle ne contint plus ses idées de grandeur : psychiatre, propriétaire, milliardaire. Ils tentèrent encore de vaines visites chez elle. La plupart du temps elle était sortie. Un jour Maria, un peu plus en confiance que d'habitude, leur raconta qu'en ce moment "ça n'allait pas, figurez-vous, elle dépensait mille francs et plus par jour en taxi, elle revenait, elle téléphonait et repartait en taxi. J'aurais bien aimé que vous m'en auriez débarrassée, figurez- vous (maria aimait bien dire : figurez-vous. C'était une expression française qui sonnait bien, ou bien l'avait-elle prise à Charlot)""Vous auriez du la prendre chez vous, là haut à l'hôpital", disait elle, "Je vous avais bien dit de ne pas me la rendre, figurez-vous. Avec ses histoires de vipères, regardez comment elle a mis l'appartement sans dessus dessous." Ils s'aventurèrent dans les pièces. Elles étaitent toutes obstruées de meubles et de vêtements entassés. Chaque meuble était en double ou triple exemplaire, il y avait trois buffets, deux cuisinières, quelques frigos, les tables étaient empilées les unes sur les autres. Les prescriptions de Charlot étaient respectées de manière inespérée. Un seule télé branchée sur Canal plus pas décodé mais où on distinguait un film de samouraïs en noir et blanc. Odile avait expliqué que c'était la vie d'Amélie Van Houten (des chocolats) : on était filmé en permanence. On entrait dans la pièce et du même coup, hop, nos personnages entraient dans la télé. C'était aussi simple que cela. Psychiatre, propriétaire, milliardaire. Et pilote de ligne. Il la retrouvèrent, malgré leurs méritoires visites à domicile, hospitalisée en placement d'office à l'hôpital psychiatrique départemental pour avoir voulu piloter le Concorde et avoir tenté de l'intercepter directement sur la piste d'envol au volant de sa petite Austin rouge. Elle resta internée plusieurs mois, fut placée sous tutelle et mise aux neuroleptiques retard. Quand ils lui rendaient visite à l'hôpital, ce qui était moins périlleux que les visites chez elle, elle était calme et désabusée. Mais dès son retour à domicile, malgré les promesses et toutes les conditions posées, la machine infernale s'etait remise en marche. Elle continuait d'attendre Charlot qui n'était toujours pas mort, refusait avec colère de recevoir sa tutrice et n'acceptait plus les injections de bébés. C'est là que débuta leur deuxième rencontre avec Odile.

posted by grossmann | 2/6/2004


mercredi  


Asseyez vous sur une chaise. Soulevez légèrement votre pied droit du sol et faites le tourner dans le sens des aiguilles d'une montre. Maintenant, tracez le chifre "6" en l'air avec votre main droite. Votre pied va changer involontairement de direction (si vous faites çà, c'est que vous êtes un vrai ciscoblogger !(via boing boing))

posted by grossmann | 2/4/2004
 

Ce n'est pas la première fois que je tombe au hasard sur ce joli petit site (cliquez, cliquez sans relache, il y a toujours une nouvelle fenêtre, c'est sans fin) Vous non plus ? Alors ce n'est plus du hasard.

posted by grossmann | 2/4/2004


lundi  

Ciceron c'est pas carréJe me souviens de "Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra?" Je me souviens des versions latines "sur table" avec ou sans "Gaffiot". La jubilation qui nous prenait quand nous trouvions dans le "Gaffiot" une citation qui était un bout de phrase tout traduit de la version sur laquelle nous planchions. Nous recherchions dans le "Gaffiot" tous les mots du texte, même les plus évidents comme "sed" ou "sum"(je viens de vérifier, il y en a des colonnes entières en tout petis caractères, avec les citations en italique) dans l'espoir de découvrir une phrase toute traduite et notre travail tout mâché. Faire du latin c'était faire de la recherche rapide bien avant Google. Il y en avait parmi nous qui s'étaient fait une spécialité de la recherche rapide dans le "Gaffiot". Ils avaient mis au point des méthodes très sofistiquées qui, si elles n'avaient plus grand chose à voir avec le latin mais plutôt avec la lexicologie, ne s'en révélaient pas moins efficaces. Copier les citations du "Gaffiot" c'était comme le Canada Dry : ça avait la couleur de la tricherie, le goût de la tricherie mais ce n'était pas une tricherie. C'était le jackpot. Copier une traduction toute faite dans le "Gaffiot" résultait d'un effort réel, qui faisait partie intégrante de l'apprentissage du latin et qui valait bien son point de plus. Nos trouvailles nous faisaient au moins autant plaisir que l'exhumation d'un trésor, un but au foot en récréation, ou le bon numéro à la loterie nationale (tirage des "gueules cassées"). Avec ou sans "Gaffiot" : c'était selon les profs de latin. L'un d'entre eux nous faisait des cours de conversation latine, une fois par semaine. Il s'agissait de traduire des mots "moderne" comme" mobylette", "aspirateur", ou "ascenseur" et de nous faire découvrir les joies du thème latin amusant. (je me souviens de mes copies de thème dont pratiquement pas un seul mot n'était pas souligné de rouge, le prof donnait d'ailleurs des notes négatives tout en nous disant que ce n'était pas grave du tout : le meilleur de la classe pouvait ainsi obtenir moins un ou zéro - c'était tout à fait honorable - et le plus mauvais, moin vingt cinq ou trente ; avec moins dix ou douze je me situais dans une honnête moyenne). Je me souviens qu'il n'y avait pas d'exercice plus difficile que le thème latin. Même les maths les plus difficiles étaient plus faciles . Les "forts en thème" était une race rare, enfin je veux dire les forts en véritable thème latin. Je n'en faisais pas partie. Je n'en ai même pas connu. Pour revenir au "Gaffiot", je viens de vérifier à nouveau : Il y a une entrée du célèbre début des "Catilinaires" qui contient sa traduction toute faite. C'est une de celles qu'on chercherait le moins, dont la traduction n'est même pas un faux ami : "patientia" ! Je me plaisais parfois à cette rêverie : Le nombre de textes latins anciens étant par définition un nombre limité, en tout cas fini, bien que grand, on pouvait alors raisonnablement rêver que le "Gaffiot" contint toutes les version latines du monde et de tous les temps par petits fragments dissociés. Il aurait suffit seulement d'être capable de lire à chaque version sur table l'intégralité du "Gaffiot" à une vitesse proche de celle de la lumière et de rabouter tous les bouts obtenus dans le bon ordre. Rien de plus simple. Plus besoin d'apprendre aucune déclinaison ni même le latin ni même aucune langue ancienne pour être dans les premiers en version latine.

posted by grossmann | 2/2/2004
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